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Date de mise à jour : 25/04/2001

Mise en page : Xavier et Angéline

 

RETOUR VERS PLAN THESE QUALITE DE VIE

I. Introduction

A. Généralités

B. La qualité de vie : définitions et généralités

1. Sens général

2. Qualité de vie en relation avec la santé

3. Intérêts en santé publique et en économie de la santé

a) Paramètre d'évaluation de l'état de santé des populations

b) Critère d'évaluation des thérapeutiques, de la qualité des soins

C. Qualité de vie et ophtalmologie

1. Historique et généralités

2. Vision et qualité de vie

a) Considérations préliminaires

b) La fonction visuelle et son évaluation clinique

(1) L'acuité visuelle

(2) Le champ visuel

(3) La vision des couleurs [3, 4]

(4) La vision des contrastes [5]

(5) La sensibilité à l'éblouissement

(6) Les examens électrophysiologiques et la fonction visuelle [6]

(7) La vision binoculaire et la vision des reliefs

c) Moyens d'étude des fonctions visuelles intermédiaires entre les mesures " classiques " et les instruments de qualité de vie

d) Conceptualisation de la qualité de vie en ophtalmologie

(1) Choix du "  point d'observation "

(2) Qualité de vie, symptômes cliniques et symptômes ressentis

(3) Point de vue comportementaliste et " utilitariste "

(4) Vision et psychologie

(5) Dimensions sociales et psychosociales de la vision

(6) Notion de qualité de vie en relation avec la vision

3. Intérêts de l'étude de la qualité de vie en ophtalmologie

 


 

 

I. Introduction

 

 A. Généralités

Les études de qualité de vie, en médecine, sont une façon d'évaluer la façon dont les patients vivent au quotidien leur maladie, leurs traitements, et apportent au clinicien de précieux indicateurs qui peuvent le guider dans la prise en charge des malades, au même titre par exemple, qu'un niveau de glycémie, ou qu'une radiographie du thorax. En effet, à côté des critères objectifs, résultant de l'examen clinique et des investigations paracliniques, il semble indispensable de tenir compte de l'individualité propre de chaque patient, de sa subjectivité, afin de pouvoir " humaniser " davantage la pratique médicale, en ne perdant pas de vue une des finalités premières de la médecine, qui est de maintenir la qualité de vie du patient.

Ces études sont utilisées depuis la fin des années 70 dans différentes spécialités médicales, et de nombreux outils sont à la disposition du corps médical pour évaluer l'impact de pathologies ou des traitements sur la qualité de vie : par exemple : le SIP, le SF-36, le WHOQOL et bien d'autres, puisqu'on en recense actuellement près de 800.

En ophtalmologie, ces études sont d'introduction relativement récente, ce qui peut paraître surprenant, étant donné que cette spécialité prend en charge des atteintes sensorielles qui peuvent atteindre très sévèrement la qualité de vie. Ainsi, par exemple une altération glaucomateuse sévère du champ visuel peut réduire considérablement la qualité de vie du patient, en restreignant ses activités quotidiennes.

Toutefois, on peut noter depuis le milieu des années 90 un net regain d'intérêt pour le domaine de la qualité de vie en ophtalmologie : on compte en effet, dans la littérature internationale, près de 200 publications s'intéressant, de près ou de loin, à la qualité de vie.

 

B. La qualité de vie : définitions et généralités

1. Sens général

Définir la qualité de vie dans son acceptation la plus large est relativement malaisé, et chacun est libre d'y inclure ce qu'il pense être important. On peut considérer qu'il s'agit de l'ensemble des conditions qui contribuent à rendre la vie agréable et/ou facile et/ou confortable. Ces conditions comprennent pour un individu donné, la qualité de l'environnement naturel, la qualité du logement, les ressources matérielles, la qualité de l'environnement familial, les relations sociales, le niveau d'études, l'adaptation au monde environnant, ainsi que d'autres facteurs, mais aussi et surtout, l'état de santé.

Ainsi, on peut distinguer des conditions propres à l'individu (état de santé, niveau d'étude, adaptation au monde environnant…), des conditions extrinsèques (environnement naturel, environnement socio-économique…), et des conditions qui dépendent à la fois de l'individu et de son environnement (relations familiales, niveau de revenus, qualité du logement, et dans une certaine mesure, état de santé…)

Concernant les éléments extrinsèques conditionnant la qualité de vie, il faut noter qu'actuellement ces notions sont très en vogue dans l'opinion publique et les médias, puisqu'on assiste par exemple assez régulièrement, depuis quelques années, à la publication du palmarès des agglomérations où la qualité de vie est la meilleure, basées sur des critères tels que pollution, disponibilité et proximité des services publics, qualité du logement, environnement naturel… Il faut d'ailleurs remarquer qu'il n'existe à ce jour, à notre connaissance, qu'une seule échelle de qualité de vie liée à la santé, qui prenne en compte ces facteurs ; il s'agit du WHO-QOL, émanant de l'OMS.

L'OMS définit d'ailleurs la qualité de vie comme étant la perception d'un individu de sa position dans la vie, dans le contexte culturel et le système de valeur dans lequel il vit, en relation avec ses buts, ses attentes, ses modèles et ses intérêts. Il s'agit là d'une définition très large, affectée de façon complexe par la santé physique, l'état psychologique, les croyances personnelles, les relations sociales, et les relations à l'environnement.

 

2. Qualité de vie en relation avec la santé 

Si la qualité de vie en relation avec la santé n'est qu'une partie de la qualité de vie dans son sens le plus général, elle n'en est pas moins fondamentale. On peut la définir comme étant l'ensemble des conditions en rapport avec l'état de santé qui diminuent le bien-être, les performances, qui interférent avec le rôle social et/ou qui altèrent le fonctionnement psychique du sujet. De même que la qualité de vie liée à l'environnement, par exemple, intéresse beaucoup les médias et l'opinion publique, on doit remarquer que ce domaine de la santé donne lieu à un intérêt majeur et croissant de la communauté médicale. Il n'est qu'à lancer une recherche sur le logiciel de référencement des publications médicales (MEDLINE ™ ) avec les termes " quality of life " pour s'en convaincre : plus de 40.000 articles comportent cette expression, dont une grande majorité datant des années 80 et 90. Cet engouement relativement récent peut s'expliquer par des changements d'orientation de la pratique médicale dans les dernières décennies. En effet, parallèlement aux progrès scientifiques, qui ont été considérables dans le domaine médical dans la seconde moitié du XXème siècle, la médecine ayant quasiment surmonté les grands fléaux que sont les maladies infectieuses, les médecins se sont trouvés davantage confrontés à la prise en charge de pathologies chroniques (diabète, pathologies rhumatismales, mais aussi dans une certaine mesure, cancers…), pour lesquelles la guérison ne pouvant pas toujours être obtenue, il importe surtout de soulager les patients, de réduire leurs symptômes, et par là-même, d'améliorer leur qualité de vie. L'essor de l'intérêt porté à la qualité de vie témoigne ainsi, d'une certaine façon, du fait que la démarche physiopathologique " classique ", qui a cours depuis la fin du XIXème siècle, trouve ses limites dans la prise en charge de certains états pathologiques, étant incapable d'en assurer la guérison, mais ne soustrayant pas pour autant les cliniciens de l'obligation des soins. Dans ce cadre, les soins ont pour vocation de permettre au patient de vivre de la façon la plus confortable possible avec son état pathologique incurable.

 
3. Intérêts en santé publique et en économie de la santé
a) Paramètre d'évaluation de l'état de santé des populations

Parallèlement à des indicateurs " classiques " tels que la mortalité, la morbidité, l'incidence et la prévalence de pathologies, les évaluations de qualité de vie liée à la santé sont en passe de devenir de précieux instruments d'évaluation de l'état de santé de populations, et sont actuellement mis en œuvre par les spécialistes de la santé publique, avec toutefois une nette prépondérance pour les pays anglo-saxons. De très nombreuses études sont publiées chaque année, visant par exemple à mettre en relation survie et qualité de vie de patients cancéreux, qualité de vie et niveau socioprofessionnel, âge et qualité de vie…

 
b) Critère d'évaluation des thérapeutiques, de la qualité des soins

Une des motivations du développement et de l'intérêt porté à la qualité de vie liée à la santé est de servir à l'évaluation des thérapeutiques et des politiques de soin. Ceci est particulièrement vrai dans les pays anglo-saxons dont les Etats-Unis, où le rapport qualité de vie/ coût des traitements est de plus en plus pris en compte, au même titre que des indicateurs plus classiques tel le rapport survie/ coût des traitements. Ainsi, plusieurs organismes américains dont le NCQA (National Committee on Quality Assurance), le JCAHO (Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations), le Facct (Foundation for Accountability), commencent à préconiser l'usage des indicateurs de qualité de vie dans l'évaluation des politiques de santé. Une explication peut être proposée à cet intérêt porté à la qualité de vie dans le cadre de l'économie de la santé : devant l'augmentation croissante du coût des soins médicaux, il importe d'allouer les ressources disponibles de façon efficace. La qualité de vie est proposée afin de documenter " l'efficacité " d'une politique de soin ou un traitement donné, au même titre, par exemple, que la survie. Cette mise en relation entre qualité de vie et économie de la santé se concrétise par la mise au point d'index tels le QALY (qui est un rapport: coût/ durée et qualité des années de vie restantes), qui commence à être mis en œuvre par les organismes qui gèrent les ressources allouées aux soins, aux Etats-Unis.

 

C. Qualité de vie et ophtalmologie

1. Historique et généralités

Si l'intérêt pour la qualité de vie est établi, dans d'autres domaines de la médecine, depuis la fin des années 70, comme le montre le graphique ci-dessous, force est de constater que cet engouement est

Figure 1: Evolution du nombre d'articles médicaux référencés comportant l'expression "quality of life", dans le temps, rapporté au nombre total de publications. Source : étude bibliographique personnelle.

  

Figure 2 : Evaluation du nombre d'articles s'intéressant à la qualité de vie en ophtalmologie publiés dans la littérature internationale, et évolution dans le temps (d'après des recherches bibliographiques personnelles)

beaucoup plus récent en ce qui concerne l'ophtalmologie, comme en témoigne le graphique suivant. En suivant l'évolution du nombre des publications s'intéressant, d'une façon ou d'une autre, à cette nouvelle " discipline ", on constate que le véritable " démarrage " de la qualité de vie en ophtalmologie se situe au tout début des années 90, étant précédé par une période de 10 ans pendant laquelle il n'y a eu que de timides incursions dans ce domaine. L'évolution à partir de 1990 est quasiment exponentielle, et les données pour l'année 2000 semblent être tout à fait conformes à ce constat, avec près de trente publications pour l'année en cours.

Il est également intéressant d'évaluer la proportion des différentes pathologies dans les articles publiés, comme cela figure ci-dessous. 

 Figure 3 : Evaluation de la proportion des principales pathologies étudiées dans les articles publiés traitant de la qualité de vie en ophtalmologie , en excluant la pathol ogie pédiatrique. (d'après des études bibliographiques personnelles)

 

Il en ressort une très nette prépondérance de l'étude de la cataracte, par rapport aux autres pathologies, ce qui peut s'expliquer essentiellement par le fait que la modification dans la qualité de vie des patients après chirurgie est le plus souvent spectaculaire, permettant donc des mesures aisées, à l'aide d'instruments de qualité de vie relativement simples, expliquant également le fait que cette pathologie a été la première à être étudiée sous l'angle de la qualité de vie. La première échelle spécifique à l'ophtalmologie (le VF-14) a d'ailleurs été développée pour la cataracte. L'intérêt porté au glaucome chronique à angle ouvert a émergé ensuite, dans les années 93-94, d'abord en utilisant les instruments génériques et des instruments dédiés à d'autres pathologies ophtalmologiques, puis en développant des échelles plus spécifiques (le Glaucoma Symptom Scale et le COMTOL essentiellement). La dégénérescence maculaire liée à l'âge, et d'autres pathologies ont investi le domaine d'investigation de la qualité de vie dans la seconde moitié des années 90, mais peut-être un peu plus " timidement ".

 

2. Vision et qualité de vie
a) Considérations préliminaires

L'évaluation objective de la fonction visuelle fait partie de tout examen ophtalmologique, mais n'est pas toujours à même de cerner totalement la " gêne fonctionnelle " ressentie par le patient, qui, le plus souvent, motive sa consultation. En effet, le patient est assez fréquemment amené à consulter devant des limitations ou des difficultés dans l'accomplissement de certaines tâches de la vie quotidienne, et il existe parfois une certaine discordance entre les critères cliniques et la plainte fonctionnelle.

 

b) La fonction visuelle et son évaluation clinique

La fonction visuelle est une fonction sensorielle complexe, dont l'évaluation ne doit pas se limiter pour le praticien à la mesure de l'acuité visuelle. Il existe en effet plusieurs autres composantes qui ne sont pas moins importantes, dont l'exploration fait partie de l'examen clinique ophtalmologique, ou des explorations fonctionnelles complémentaires.

 

(1) L'acuité visuelle

La mesure de l'acuité visuelle consiste à évaluer le pouvoir de discrimination spatiale angulaire. Elle doit se faire sans correction, puis avec la correction d'éventuelles amétropies sphériques et/ou cylindriques, œil par œil, puis en binoculaire, en vision de loin, mais aussi en vision de près. Pour ce faire, diverses échelles d'acuité sont utilisées en pratique quotidienne. On peut citer, concernant les échelles d'acuité de loin, l'échelle de Monoyer, la plus utilisée en France, mais également l'échelle de Snellen, et les anneaux de Landolt. Pour ce qui est des échelles de vision de près, les plus utilisées restent les échelles de Parinaud et de Weiss-Rossano. La mesure de l'acuité donne lieu à l'obtention d'un " score ", exprimé en dixièmes en France pour la vision de loin, et qui correspond à la plus petite ouverture angulaire permettant au patient de reconnaître les symboles qui lui sont présentés.

 

(2) Le champ visuel

Il existe plusieurs méthodes permettant le relevé du champ visuel. La périmétrie cinétique de Goldmann, qui consiste à déplacer un stimulus lumineux sur une coupole de luminance constante, de la périphérie vers le centre, jusqu'à ce que le sujet (qui fixe un point central) le perçoive, permet de mettre en évidence des isoptères en faisant varier taille et luminance du stimulus. Les isoptères sont les courbes de même sensibilité rétinienne. Si la périmétrie cinétique est précieuse par sa simplicité de mise en œuvre et sa bonne analyse du champ visuel périphérique, il faut toutefois remarquer qu'elle est très dépendante de l'expérience du périmétriste, et qu'elle ne met que très difficilement en évidence de petits déficits localisés.

A côté de la périmétrie cinétique, une autre technique de relevé du champ visuel a pris beaucoup d'essor dans le dépistage et le suivi du patient glaucomateux, parallèlement aux progrès de l'informatique. Il s'agit de la périmétrie statique automatisée, qui consiste à projeter un test immobile sur une coupole, en faisant varier sa luminance selon un programme pré-établi, en recherchant le plus souvent le seuil, qui est l'intensité lumineuse, exprimée en décibels, qui est perçue une fois sur deux. En testant différents points sur la coupole, on obtient un relevé du champ visuel. L'examen est également complété par la recherche de faux positifs et de faux négatifs afin d'en assurer la fiabilité. De plus, certains programmes permettent de déterminer la déviation totale, qui est une représentation des points significativement différents des valeurs attendues pour l'âge correspondant à celui du patient et la déviation individuelle, qui est une représentation des points statistiquement différents des valeurs moyennes du sujet testé. Les avantages de la périmétrie statique sont surtout sa sensibilité aux déficits glaucomateux débutants, sa plus grande indépendance vis-à-vis de l'expérience du périmétriste que pour la périmétrie cinétique. Par contre, parmi ses inconvénients, il faut remarquer que la périmétrie statique n'explore généralement que les 30° centraux du champ visuel, et néglige donc le champ visuel périphérique. De plus, cette méthode nécessite un certain apprentissage de la part du patient et un niveau de collaboration plus important.

Dans le cadre des études de qualité de vie, et en particulier concernant le glaucome, le relevé du champ visuel binoculaire est un élément important, et cet examen figure dans plusieurs études publiées récemment. Sa réalisation peut s'effectuer en périmétrie dynamique, et plus de plus en plus fréquemment en périmétrie statique automatisée, puisque par adaptation du logiciel, il est possible de calculer un index d'atteinte du champ visuel, dont le plus connu est celui développé par Esterman en 1982. Toutefois, la majorité des études publiées qui évaluent la relation entre qualité de vie et altérations du champ visuel se basent sur d'autres systèmes de calcul d'index de sévérité de l'atteinte, essentiellement représentés par le score AGIS (Advanced Glaucoma Intervention Study), et le score CIGTS (Collaborative Initial Glaucoma Treatment Study), qui tous deux varient de 0 (pas de déficit), à 20 (" évolution terminale ") (2).

 

(3) La vision des couleurs (3,4)

De nombreuses modalités de l'évaluation de la perception chromatique sont mises en œuvre en pratique clinique. Ainsi, parmi les plus connues, les tables d'Ishihara permettent de dépister les achromatopsies et dyschromatopsies héréditaires et acquises, par la présentation de planches pseudo-isochromatiques, qui induisent une confusion entre des couleurs très proches chez les sujets porteurs de telles anomalies. Les tests de classement, dont les plus connus sont le test 15 hue désaturé de Lanthony et le Farnsworth Munsell 100 hue, consistent à classer des pastilles de couleurs différentes selon leurs propriétés colorimétriques, puis à comparer le classement effectué par le sujet testé avec le classement de référence, permettant ainsi de mettre en évidence et de définir les différentes anomalies des perceptions chromatiques, en décrivant principalement l'axe d'une dyschromatopsie, qui peut être un précieux élément d'orientation de l'examen ophtalmologique. Il faut également remarquer que la qualité de la perception colorée est fréquemment requise pour l'obtention de certaines aptitudes professionnelles (armée, police, marine, aviation…), et divers tests sont mis en œuvre, dont certains sont plus proches de situations de la vie quotidienne (lanterne de Beyne se rapprochant de la reconnaissance des signaux lumineux, classement de faisceaux de fils électriques colorés, se rapprochant des situations rencontrées dans la pratique de l'électronique, par exemple.)

 

(4) La vision des contrastes (5)

L'évaluation de la sensibilité aux contrastes est d'introduction assez récente en pratique clinique. Plusieurs techniques ont été décrites, dont les plus utilisées sont les échelles d'optotypes de Terry, de Pelli-Robson, et de Regan. Ainsi, les échelles de Terry et de Pelli-Robson utilisent des lignes d'optotypes de même taille, dont le contraste par rapport au fond augmente d'une ligne à l'autre, alors que l'échelle de Regan fait varier la taille de présentation des optotypes mais également leur contraste par rapport au fond, permettant ainsi d'établir une véritable courbe de sensibilité au contraste, à l'instar de ce qui est réalisé par l'utilisation de réseaux sinusoïdaux de fréquences spatiales.

L'évaluation de la sensibilité au contraste est un examen particulièrement intéressant dans le cadre de l'évaluation fonctionnelle de pathologies telles la cataracte, la dégénérescence maculaire liée à l'âge, mais également le glaucome, qui nécessite une méthodologie d'évaluation particulièrement rigoureuse, avec en particulier le respect strict de la distance de présentation des tests, mais aussi celle d'une constance de la luminosité de la salle d'examen, qui sont garants de la reproductibilité des tests.

 

Figure 4: A gauche, échelle de TERRY, et à droite, courbe de sensibilité aux contrastes normale, établie par l'usage de réseaux sinusoïdaux.

 

(5) La sensibilité à l'éblouissement

Plusieurs auteurs relèvent que cet examen est d'importance dans l'évaluation fonctionnelle, en particulier de patients porteurs de cataracte, mais il ne semble pas exister de consensus quant aux modalités techniques de son appréciation. Certains auteurs relèvent simplement l'acuité visuelle de loin de chaque œil avant, pendant et après exposition à une source lumineuse d'intensité donnée, tandis que d'autres relèvent au contraire la courbe de sensibilité aux contrastes avant, pendant et après cette exposition.

 

(6) Les examens électrophysiologiques et la fonction visuelle (6)

Outre l'électrorétinogramme (ERG), l'électro-oculogramme (EOG), et les potentiels évoqués visuels (PEV) par la technique des flashs, qui sont très précieux pour localiser et pour guider le diagnostic les anomalies rétiniennes et de celles des voies optiques, la technique des potentiels évoqués visuels par la méthode des damiers peut, quant à elle, être également utile pour obtenir une évaluation objective de la fonction visuelle, par exemple pour des patients dont la collaboration ne peut être obtenue pour la réalisation des tests fonctionnels classiques. Ainsi, la présentation de damiers de fréquence spatiale différente, par le relevé des tracés de PEV correspondants, permet une évaluation indirecte relativement grossière de l'acuité visuelle. En effet, la présence d'une réponse à une fréquence spatiale donnée est fréquemment corrélée à un niveau d'acuité visuelle donnée, bien qu'il faille rester très prudent dans l'interprétation de ces résultats.

 

(7) La vision binoculaire et la vision des reliefs

La vision binoculaire et surtout celle des reliefs nécessite une bonne acuité visuelle pour chaque œil, mais également la présence de la fusion. Son évaluation est du ressort tant de l'ophtalmologiste que de celui de l'orthoptiste, et de nombreux tests cliniques sont disponibles. Ainsi, des tests très simples tels les tests duochromes, mais également l'examen au synoptophore, ainsi que tous les autres tests basés sur la dissociation des images perçues par chaque œil permettent d'évaluer la vision binoculaire, en vérifiant l'absence de neutralisation et la présence d'une correspondance entre les images perçues par chacune des deux rétines. L'évaluation de la perception des reliefs, ou vision stéréoscopique, est principalement pratiquée par l'utilisation de tests polarisés, mais également par des tests dits " random dots tests ", tels le test de Lang, et par l'examen au synoptophore, qui comporte des mires de vision stéréoscopique. Ces tests permettent d'établir un angle de discrimination des reliefs exprimé en secondes d'arc.

 

c) Moyens d'étude des fonctions visuelles intermédiaires entre les mesures "classiques" et les instruments de qualité de vie

Depuis quelques années, on assiste à l'émergence de techniques d'évaluation des performances visuelles plus proches des situations de la vie quotidienne que ne le sont les mesures " classiques " exposées précédemment. Ainsi, plutôt que d'évaluer l'acuité visuelle de près de façon habituelle, certains auteurs proposent de développer de véritables scores de lecture (7-9) , tenant compte de la vitesse de lecture, de la taille du texte, voire de son contraste par rapport au fond. De même, la réalisation de tâches simples mettant en jeu différentes composantes des fonctions visuelles sont évaluées, comme par exemple l'évaluation de la faculté de reconnaissance de visages et d'expressions faciales, ou encore, l'orientation dans un " parcours d'obstacles ", présentant des conditions de luminance variables mais également des zones où le patient est ébloui par une source lumineuse (7).

 

d) Conceptualisation de la qualité de vie en ophtalmologie

(1) Choix du " point d'observation "

Plusieurs niveaux d'observation sont possibles lorsque l'on souhaite évaluer la qualité de vie des patients. Ainsi, cette évaluation peut être établie d'une façon relativement objective, se rapprochant de la pratique médicale habituelle, en mesurant directement les performances des patients mis en situation dans des conditions se rapprochant de la vie quotidienne. Cette approche est à priori uniquement applicable au versant " comportementaliste " de la qualité de vie, et n'est que très difficilement transposable aux autres domaines (psychologiques, sociaux, etc.). La source des données est donc un observateur à priori objectif. Ce type d'évaluation est déjà en usage, de façon encore marginale il est vrai . Un autre point d'évaluation possible est représenté par celui des proches du patient, également susceptible d'apporter des informations pertinentes sur la qualité de vie, mais peut-être davantage sujet à des biais liés à la subjectivité de l'observateur (il faut d'ailleurs remarquer que cette approche n'est actuellement pas mise en pratique directement dans l'évaluation de la qualité de vie en ophtalmologie). Le point d'observation le plus fréquemment appliqué est celui du patient lui-même. En effet, dans toutes les échelles de qualité de vie spécifiques à l'ophtalmologie publiées à ce jour, le patient est son propre observateur. La fiabilité des données ainsi recueillies est assurée par la validation psychométrique, mais également par la confrontation aux données issues de l'examen clinique, qui sont à priori objectives.

 

(2) Qualité de vie, symptômes cliniques et symptômes ressentis

Les symptômes ressentis par le patient peuvent être considérés comme faisant partie intégrante de sa qualité de vie, au même titre que les limitations d'activités, ou encore l'impact psychologique, et social de la pathologie, d'autant plus qu'ils sont fréquents, ou qu'ils interfèrent avec la vie quotidienne. Un certain nombre de ces symptômes peuvent être objectivés par l'examen clinique et fonctionnel ophtalmologique, tels par exemple, un larmoiement, l'apparition d'un scotome, la perturbation de la perception des couleurs, mais nombre de symptômes ne peuvent l'être, qu'il s'agisse par exemple de la perception de picotements oculaires, de l'existence d'une douleur, etc. Cette seconde catégorie de symptômes ne peut être relevée et évaluée que par les données de l'anamnèse, et n'est pas toujours corrélée aux données de l'examen médical objectif. En effet, de très nombreux facteurs influencent la perception des symptômes par le patient, qu'il s'agisse de facteurs psychologiques, culturels, de " l'histoire " médicale du patient, mais également de facteurs somatiques, qui rendent, par exemple, la perception nociceptive très inégale d'un patient à l'autre, pour un stimulus douloureux donné. Il faut d'ailleurs remarquer qu'il existe parfois une différence nette entre l'évaluation des symptômes et surtout de leur retentissement, par le patient lui-même, et par celle qui est réalisée par le clinicien, comme en témoigne une étude très récente concernant les patients porteurs d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge cécitante, montrant une sous-évaluation de la dégradation de qualité de vie liée à la cécité par les cliniciens par rapport à celle qui est rapportée par les patients . La majorité des échelles de qualité de vie intègrent l'évaluation des symptômes rapportés par le patient, et certaines d'entre elles se limitent à cela, comme par exemple le CSS (cataract symptom scale), le GSS (glaucoma symptom scale), ou le COMTOL (Comparison of Ophtalmic Medications for TOLerability questionnaire).

 

(3) Point de vue comportementaliste et " utilitariste "

La vision est sans doute l'une des fonctions sensorielles les plus indispensables à l'appréhension du monde mais également à l'interaction avec celui-ci, conditionnant par là-même la plupart des activités, voire les comportements humains. Il en découle que toute altération des fonctions visuelles a des répercussions en terme de limitations d'activités et entraîne des adaptations comportementales, pour répondre à ces limitations.

L'étude des limitations d'activités liée à l'altération de la vision fait partie intégrante du champ d'investigation de la qualité de vie, comme en témoigne la nette prépondérance des questions de cette ordre dans la plupart des questionnaires de qualité de vie établis et validés en ophtalmologie, montrant ainsi un très fort attachement à la dimension " utilitaire " de la vision. Ainsi, pour prendre un exemple, le VF-14, échelle de qualité de vie parmi les plus reconnues et les plus fréquemment mises en œuvre, comporte exclusivement des questions ayants traits aux activités des patients et à leurs restrictions induites par la pathologie ophtalmologique. Cette dimension de la qualité de vie liée à la vision est également la plus à même d'être étudiée " objectivement ", par des tests qui peuvent d'une certaine manière être rapprochés des tests fonctionnels utilisés en pratique clinique quotidienne, par la mesure des performances des patients à l'accomplissement de certaines tâches, comme par exemple la détermination de la vitesse de lecture, l'évaluation des performances de déplacement dans un " parcours d'obstacle ", comme cela a été réalisé dans une étude récente .(7)

Mais la dimension comportementaliste associée à la fonction visuelle ne se résume pas pour autant à ce point de vue que l'on pourrait qualifier " d'utilitariste ". Elle se doit également de prendre en compte les modifications et adaptations comportementales induites par les altérations des fonctions visuelles, modulées par la personnalité et la psychologie du patient, comme, par exemple, les comportements d'évitement, de persévérance, de préférence, afin de capter une réalité bien plus complexe que ne l'est la simple performance à la réalisation de tâches quotidiennes.

 

(4) Vision et psychologie

Le retentissement psychologique (voire, dans certains cas, psychiatrique), de l'altération des fonctions visuelles résulte d'un processus complexe d'adaptation du sujet aux modifications pathologiques réelles et perçues (qu'elles soient symptomatiques de la maladie, ou induites par le traitement), à leurs conséquences socioprofessionnelles, aux limitations d'activités, aux perspectives évolutives de la maladie, mais sont fortement modulées par la personnalité sous-jacente du patient, par son expérience, son éducation, son mode de vie, son entourage et par de nombreux autres facteurs. On peut considérer que l'altération fonctionnelle de la vision est assimilable à un " stress ", auquel le patient répond par l'élaboration d'un mécanisme de défense psychologique, qui peut en conséquence se traduire par pratiquement toutes les formes cliniques décrites par la psychopathologie, allant de la simple anxiété, jusqu'à de véritables psychoses, éventualité fort heureusement plus rare. Ces manifestations psychopathologiques peuvent n'être qu'un état transitoire (par exemple, dépression à l'annonce d'un diagnostic de glaucome), ou se pérenniser durant l'évolution de la maladie.

Le retentissement psychologique est un facteur important de la qualité de vie des patients atteints de pathologies potentiellement cécitantes, à fortiori lorsqu'elles sont chroniques et incurables. Il est de plus en plus fréquemment évalué au sein les échelles de qualité de vie dédiées à l'ophtalmologie, bien qu'il soit encore nécessaire d'affiner les tests utilisés.

 

(5) Dimensions sociales et psychosociales de la vision

La vision est un élément prépondérant des interrelations sociales. Elle intervient par exemple de façon évidente dans la reconnaissance entre personnes, davantage peut-être que les autres sens, mais également dans la reconnaissance des expressions faciales (sourire, colère, étonnement…), fondamentale dans le développement des interactions sociales et familiales, permettant par là-même une adaptation comportementale à l'attitude de l'interlocuteur, qui n'est pas forcément verbalisée. La capacité de reconnaissance des visages et de leurs expression peut être évaluée de façon relativement objective, comme cela a été réalisé dans une étude relativement récente , où l'on a présenté aux sujets testés des photographies de visages (connus de tous) à diverses distances, mais également des visages présentant diverses expressions faciales que les patients devaient décrire.

Concernant les implications sociales des altérations des fonctions visuelles, elles sont multiples, et découlent tant des restrictions d'activités, que des conséquences psychologiques, comportementales, de l'expérience et du vécu du patient, mais sont également grandement conditionnées par les réponses et adaptations prévues par la communauté dans laquelle vit le patient. Ainsi, il peut s'agir par exemple de l'interdiction de la conduite automobile pour un certain niveau d'altération fonctionnelle, mais aussi de restrictions d'accès à certaines professions, de l'éventualité d'une prise en charge sociale (invalidité), et de toute autre conséquence sur la vie sociale de l'individu. De plus, il faut remarquer que les conséquences sociales de l'altération des fonctions visuelles sont très dépendantes du contexte socioculturel et de la structure de la société considérée. Ainsi, pour prendre un exemple un tant soit peu caricatural, les conséquences sociales d'une basse vision par glaucome, sont très différentes selon qu'elle touche un villageois africain, ou un cadre supérieur dans un pays industrialisé, où existent de réelles mesures de prise en charge sociale, de réhabilitation visuelle (rééducation et aide optique), de réadaptation professionnelles (reclassement).

Force est de constater que les diverses échelles de qualité de vie appliquées à l'ophtalmologie existantes (à quelques exceptions près) ne prennent pas suffisamment en compte les dimensions psychosociales et sociales liées à la vision et à son altération, et on peut espérer que ce manque sera pallié par le développement de nouveaux instruments.

 

(6) Notion de qualité de vie en relation avec la vision

On peut considérer que la notion de qualité de vie en relation avec la vision résulte de l'agrégation de l'ensemble des notions exposées précédemment (symptômes ressentis, retentissement sur les activités quotidiennes, conséquences psychologiques, impact social, professionnel), auquel il est possible également d'adjoindre une évaluation (par le patient) de la qualité de la relation thérapeutique médecin-malade, mais également une évaluation de la satisfaction du patient vis à vis de sa vision, de son traitement, voire des considérations médico-économiques (coûts des traitements), bien que ces derniers points ne sont que rarement intégrés dans les échelles de qualité de vie existantes. Dans le schéma ci-après, figurent quelques-unes des interrelations possibles entre les différents " secteurs " de la pratique clinique de l'ophtalmologie, et entre les principaux domaines de la qualité de vie. Ces deux modes d'évaluation de la pathologie, par la pratique clinique et par l'étude de la qualité de vie, ne sont pas antinomiques, mais complémentaires, puisque apportant des informations provenant de deux sources différentes (le médecin, et le patient), qui décrivent toutes une même réalité (la pathologie). Il est très intéressant de tenter d'établir un parallélisme entre ces deux types d'information, ce qui est d'ailleurs fait par la grande majorité des études de qualité de vie, afin de tenter de mieux cerner toutes les dimensions de la pathologie, dans la finalité de proposer au patient une prise en charge à la fois efficace (selon des critères cliniques " classiques "), mais aussi susceptible d'améliorer, ou pour le moins, de maintenir sa qualité de vie.

 

Figure 5 : diagramme schématique des relations entre ophtalmologie clinique et qualité de vie

 

3. Intérêts de l'étude de la qualité de vie en ophtalmologie

Si la qualité de vie en relation avec la vision n'est qu'une composante de la qualité de vie liée à la santé, celle-ci n'en est pas moins fondamentale. Toute altération des fonctions visuelles, non seulement par la dégradation de la fonction sensorielle mais aussi par le retentissement psychologique qu'elle induit, qui n'est pas forcément parallèle, conduit fréquemment à une restriction des activités du patient, peut altérer sa vie sociale et professionnelle, et par là même, dégrader très nettement sa qualité de vie, dans son acceptation la plus globale. Pour prendre un exemple, un glaucome chronique à angle ouvert bilatéral évolué, responsable d'une importante altération du champ visuel peut restreindre la plupart des activités de la vie quotidienne du patient, en interdisant par exemple la conduite automobile, la pratique de certains sports, mais aussi retentir sur sa vie psychique, le patient étant conscient de la possibilité d'évolution vers la cécité, ce qui peut conduire à l'apparition de véritables pathologies psychiatriques, le plus souvent sur le versant dépressif. Mais l'évolution naturelle de la pathologie en cause n'est pas le seul facteur de dégradation de la qualité de vie du patient porteur d'une pathologie ophtalmologique ; les traitements prescrits peuvent également être incriminés tant par les contraintes qu'ils imposent au patient, que par les effets secondaires qu'ils sont susceptibles de générer.

Malgré l'intérêt que suscite la qualité de vie dans un grand nombre de spécialités médicales, il faut bien reconnaître qu'en ophtalmologie, ce domaine est encore trop souvent ignoré par les praticiens, comme le suggère un article publié en 1998 dans Eye : lors d'une importante conférence anglaise, un questionnaire a circulé parmi les ophtalmologistes présents, demandant d'une part de classer par ordre d'importance décroissante différents critères de la prise en charge de plusieurs pathologies ophtalmologiques, dont la qualité de vie et d'autre part, de citer des échelles de qualité de vie. Il en ressort que si l'acuité visuelle de loin et de près sont toujours classés parmi les 4 critères prépondérants, quelle que soit la pathologie envisagée, la qualité de vie se voit classer à un rang d'importance moindre, et que seuls deux ophtalmologistes sur les 36 qui ont bien voulu répondre au questionnaire pouvaient citer au moins une échelle de qualité de vie, qu'elle soit générique ou spécifique d'une pathologie.

Toutefois, malgré cette relative ignorance du domaine de la qualité de vie et de son évaluation par un grand nombre de praticiens, il faut bien remarquer qu'il existe actuellement un net regain d'intérêt pour ce domaine. Il n'est qu'à voir le nombre d'articles publiés dans les grands journaux ophtalmologiques ces dix dernières années ayant trait à la qualité de vie pour s'en convaincre. Ceci résulte certes du développement et de la validation d'échelles spécifiques aux pathologies oculaires, mais aussi et surtout de la prise de conscience par de nombreux médecins de par le monde de la relative insuffisance des critères physiques objectifs (l'anatomie et son altération), et des critères fonctionnels habituellement retenus, pour permettre l'adéquation entre la demande des patients et la prise en charge proposée.

 

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