Par
le Docteur Mamadou SOW Chef
de Service ophtalmologie Hpital de Kankan |
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Chers
lecteurs,
A lĠimage de notre dernire publication sur la
ÇCcit et Mendicit È, je me fais lĠagrable devoir de revenir la
charge pour vous offrir, titre gratuit, cette autre histoire professionnelle
vcue dans la Commune Urbaine de KANKAN. Il sĠagit, vous ne vous en doutez pas,
de lĠhistoire dĠune pauvre lpreuse aveugle.
LĠintresse,
Madame Doussou KONATE est ge de 65 ans, mre de dix enfants dont quatre
vivants et rside Kaoro, Sous-Prfecture de Bendou, Prfecture de
Kissidougou. Cette patiente est dsagrablement angoisse par trois grands maux
de notre poque :
-
la pauvret
-
lĠinvalidit lpreuse
-
et la ccit par
cataracte.
De sa naissance jusquĠà lĠâge de vingt ans, cette dame a évolué sans particularités notables, malgré son faible niveau de vie tant culturel quĠéconomique. A cet âge pubertaire caractérisé par une grande activité génitale, la jeune Doussou était très charmante, très active. Indemne de toute affection et de toute infirmité, elle était beaucoup admirée par de nombreux prétendants pour le mariage.
CĠest
partir de sa vingtime anne que la jeune Doussou Konat a t terriblement
confronte de multiples problmes :
-
de sant
-
de socit
-
de famille
-
et de tradition.
Parmi ses problmes les plus brlants figurait sans
nul doute son embarras face au choix dĠun bon mari parmi ses nombreux
prtendants.
q
Qui pourra lui permettre
dĠassumer pleinement sa responsabilit de future mre de famille ?
q
Qui lui garantira son
rle social de vritable assistante morale et matrielle vis--vis de sa
famille revenu conomique trs modeste et vivant en zone rurale ? .
De multiples questions se battaient dans lĠesprit de
Doussou qui nourrissait lĠespoir certain de pouvoir bnficier de lĠappui dĠun
futur compagnon de vie srieux et capable dĠassistance morale, matrielle et
financire sa famille. Fort malheureusement, le sort en dcida autrement. En
effet, cĠest juste ce moment de confusion et dĠhsitation que la maladie
choisit sa victime. Ds lors, la jeune femme connatra de violents maux de tte
avec insomnie, des malaises, des dmangeaisons terribles aboutissant des
lsions de grattage dissmines sur tout le corps avec modification dsagrable
de la peau, bref, de longues et interminables nuits de penses, de rflexions
et de douleurs atroces.
Quelle dangereuse maladie ? Pour la mdecine
moderne, il sĠagit dĠune lpre menaante. Mais, pour Doussou Konat, ses
parents et amis, quelles inquitudes ? Pour eux en effet, la cause relle
de cette sale maladie nĠest pas rechercher ailleurs, car la science occulte
est l pour la confirmation diagnostique : sa maladie nĠa put tre cause
que par un mauvais sort que lĠun de ses malheureux prtendants lui a jet.
A partir de lĠinstant, les maigres ressources de la
famille seront orientes vers des consultations et des traitements
traditionnels aux vertus douteuses en matire de lpre.
Ainsi :
-
la place des examens
de laboratoires pour la mise en vidence du bacille de Hansen, ce sont des
consultations chez les marabouts, charlatans et autres joueurs de cauris
-
la place des
injections et des comprims antilpreux, on choisira des talismans, des macrs,
des infusions et des dcoctions de feuilles, de racines et dĠcorces de plantes
varies
De multiples offrandes et sacrifices sont rests vains
(plats de riz, poulets, moutons, argent, etc.É). Toutes les interventions
resteront inefficaces et aggraveront lĠtat de pauvret de cette famille.
Aprs une vingtaine dĠannes de tentatives dsespres
en mdecine traditionnelle, Doussou se tourne, trs tardivement, vers la
mdecine moderne. Mais, hlas ! les parents confirment assez tt
lĠirrgularit du traitement mdical de la patiente. Comme consquence cela,
la lpre gagna progressivement du terrain, entranant lĠamputation des
extrmits de ses membres, la rendant ainsi infirme jamais.
Il convient de souligner que cĠest un stade trs
volu de sa maladie quĠun autre malheur a sonn la cloche contre notre pauvre
Doussou : une maladie ccitante se traduisant par des dmangeaisons, de
vives douleurs oculaires, une photophobie, un larmoiement intense et une baisse
progressive de la vision aboutissant la ccit (perte visuelle).
Bien chers lecteurs, vous noterez que la ccit est le
pire de tous les handicaps. Depuis trois ans, Doussou Konat a t coupe du
monde extrieur car, lĠinvalidit lpreuse sĠest greff un autre mal du
sicle : la cataracte ccitante.
Que pouvons-nous dire ? Que pouvons-nous faire
sur la multiplication des malheurs, notamment lĠinvalidit sur le plan moteur
et la ccit par cataracte sur le plan visuel chez cette pauvre femme ?
Malgr son innocence, cette dame est cependant triplement victime de
lĠignorance et du manque dĠassistance vritable par sa famille et par la
socit.
Examinons ensemble notre patiente.
2-1. Examen somatique
Sujet amaigri, asthnique on note la prsence de
multiples tches noires sur la peau localises aux membres, sur lĠabdomen, sur
le thorax et sur le visage.
On
note galement une amputation des extrmits distales des mains et des pieds,
squelle de la lpre
2-2. Examen ophtalmologique
-
Acuit
visuelle : toute la vision est limite la perception lumineuse, dĠo une
ccit bilatrale
- Tension oculaire : elle est normale aux doigts
- LĠexamen la lampe fente rvle :
o
Un blpharochalasis
bilatral plus marqu gauche
o
Une hyperhmie
conjonctivale
o
Des opacits cornennes
de localisation marginale plus marques lĠÏil droit
o
La prsence de quelques
synchies iridocristalliniennes tmoignant une ancienne iridocyclite
o
Pas de rflexe
photomoteur
o
Une cataracte blanche
bilatrale totale nettement visualise au prix dĠune dilatation pupillaire
maximale lĠatropine collyre
o
Le fond dĠÏil est
invisible.
Le bilan
para-clinique nĠa rvl aucune contre-indication opratoire.
En
conclusion : cataracte
pathologique bilatrale sur terrain de la maladie de Hansen : patiente
oprer.
2-3. Aspects thrapeutiques
Doussou
Konat a t chirurgicalement prise en charge dans notre service. Une opration
bilatrale a t ralise. Elle a consist en une extraction intra-capsulaire
des cristallins la cryode sans incident.
Grce
cette intervention chirurgicale, Doussou Konat a pu recouvrer sa vision perdue
depuis plusieurs annes. De la simple perception lumineuse avant lĠopration,
elle sĠest retrouve avec une acuit visuelle socialement utile de 3/10me
en vision binoculaire ds la fin de la premire semaine aprs lĠopration du
second Ïil.
Doussou Konat en famille
aprs son traitement
Depuis
aot 2002, notre patiente Doussou a chang de comportement grce
lĠintervention chirurgicale bilatrale ralise par lĠquipe du service
ophtalmologique de lĠHpital Rgional de Kankan sous la Direction de Dr Mamadou
SOW. La tristesse pathologique de Doussou Konat sera dsormais vaincue car
elle a rouvert ses yeux sur la vie, elle a retrouv son sourire de jeunesse et
elle est prte maintenant rintgrer sa famille et aborder une nouvelle
vie. Pour Doussou, cĠest une victoire sur la fatalit.
Que
pouvons-nous retenir de la lpre et de la cataracte, deux maladies graves dont
a t victime notre patiente ?
Dans les temps les plus reculs, la lpre tait
considre comme lĠune des affections les plus redoutables. Elle tait
assimile une vritable maldiction divine, cause dĠun irrversible handicap
moteur ou responsable dĠune mortalit trs leve.
De
nos jours, la lpre est lĠune des affections les plus connues scientifiquement.
Il sĠagit dĠune maladie infectieuse chronique cause par le bacille de Hansen
ou mycobacterium leprae. Elle
touche principalement les nerfs priphriques, la peau et les muqueuses. Sa
gravit dpend de lĠimmunit naturelle du sujet. Un dpistage prcoce et un
traitement adapt et nergique conduisent gnralement une gurison totale
sans squelles. Mais, si elle est nglige, cette maladie volue
inluctablement vers une triste invalidit permanente.
Tout le
combat contre la lpre se rsume :
La lutte contre lĠinfection
La stimulation de lĠimmunit du sujet
La prservation de lĠinnervation
Et la prvention lĠinvalidit.
Bien chers
lecteurs, la lpre est une maladie comme les autres. Le succs de sa prise en
charge dpend de la prcocit de son dpistage et de lĠassiduit du sujet au
traitement par les antilpreux. Cette prise en charge est gratuite dans toutes
les formations sanitaires de notre Pays.
La
cataracte est lĠopacification volutive du cristallin entranant une baisse
visuelle progressive pouvant aboutir la ccit. Cette affection peut survenir
tout ge, dans des circonstances varies. Le seul traitement efficace demeure
lĠintervention chirurgicale.
N.B. : Le cristallin est un organe interne de lĠÏil, une
lentille biconvexe transparente. La seule faon pour le cristallin dĠexprimer
sa souffrance cĠest de sĠopacifier, dĠo la cataracte.
Notre patiente Doussou KONATE a t victime,
depuis son jeune ge, de la lpre qui a volu vers des complications parmi
lesquelles nous retiendrons :
-
lĠinvalidit lpreuse,
vritable handicap moteur
-
et la ccit par
cataracte, complication oculaire tardive
Les
consquences de ces maux ont fait passer Doussou une vie de calvaire. Passons
en revue quelques-unes :
A- Au niveau de lĠindividu
Sur le plan psychoaffectif naissent dans lĠesprit de
Doussou de graves conflits internes. A la place de la joie de vivre et de
lĠesprit dĠouverture au dialogue se substituent une vie renferme, une grande
susceptibilit, la mfiance et lĠirritabilit qui conduisent une vritable
crise de confiance. Cela justifie en partie les difficults lies la gestion
de notre malade au sein de sa famille.
Pour Doussou Konat, cĠest dsormais :
-
lĠinvalidit, objet de
dpendance, la place de la validit
-
la fatalit, synonyme de
rsignation, la place de la facilit.
Quelle forme
de contamination ?
B- Au niveau de la famille
Faute de moyens, les parents et amis de Doussou
sĠoccupent trs peu, voire pas du tout dĠelle. CĠest pour eux une charge
sociale oblige mais nglige. Tous sont ternellement embarrasss par la
recherche du pain quotidien pour subvenir aux besoins constants des autres
membres de la famille. Il existerait mme dans le subconscient de certains
dĠentre eux une forme de ddain non exprim parce quĠils pensent que, quelle
part, la pauvre femme est entirement responsable de ce qui lui est arriv.
Une autre
situation sociale trs dsastreuse qui mrite une attention toute particulire
concerne lĠenfant choisi par la famille pour sĠoccuper de Doussou. En effet,
lĠavenir de cet innocent est compromis jamais car il ne pourra bnficier ni
de diplme, ni de mtier, faute de formation ou dĠapprentissage.
C- Au niveau de la socit
LĠignorance, les mentalits perverses et les
mauvaises langues attaquent et tuent lĠesprit, le cÏur et le corps de notre
pauvre Doussou Konat. Pour les villageois ignorants et analphabtes, cette
vieille lpreuse aveugle du village nĠest quĠune grande et froce sorcire
qui incombent toutes les causes imaginaires des dcs maternels et infantiles
de la contre.
Peut-tre
mme, qui sait, des rumeurs continuent dĠtre propages en sourdine, lĠaccusant
dĠtre responsable de la mort de ses sis (6) enfants par qui elle aurait appris
sa sale besogne et avec qui elle aurait pris got la sorcellerie ?
D- Sur le plan conomique
La
raison de lĠappauvrissement de la famille de Doussou se justifierait pour la
plupart des communs des mortels de faon hypothtique :
-
La cause serait dĠabord
la soustraction de deux (2) bras valides de la famille, cĠest--dire la
lpreuse aveugle et son guide
- Ensuite, ce serait surtout les pertes incalculables en
ressources investies pour le traitement infructueux de notre malheureuse
patiente.
Nous recommandons tous nos concitoyens de
consulter dans les formations sanitaires temps opportun pour un dpistage
prcoce et un traitement nergique de toutes les anomalies pouvant survenir
aussi bien sur la peau, sur les muqueuses que sur la sphre ophtalmologique.
Le
respect des rgles de traitement avec assiduit est trs salutaire dans la
prise en charge de la lpre et de la ccit invalidante.
Nous lanons un SOS en faveur de notre pauvre
handicape Doussou Konat car sa sortie de lĠobscurit permanente ne suffit pas
pour rsoudre tous ses handicaps.
Notre
esprit se nourrit de vritable espoir de bnficier de toute lĠassistance
morale, matrielle et financire notre patiente. Nous comptons sur les
interventions trs salutaires de tous les bailleurs Ïuvrant dans la lutte
contre la ccit, la pauvret et la lpre en Guine notamment Projet OPC/SF/935
Guine, Sight Savers International, Helen Keller International, CBM
International, AOFG Ç Voir la Vie È, Programme National de Lutte Contre
la Lpre, A.GUI.P.A. et Handicap International.
Nous
ne saurions terminer cet article sans adresser nos vifs remerciements
Monsieur Alfred KOUROUMA, Professeur au Lyce Morifindian Diabat qui, par
marque de confiance nous a confi cette pauvre lpreuse aveugle en vue de son
traitement et qui a hautement contribu au recueil des informations ncessaires
affrentes lĠhistoire de notre Doussou Konat. Une fois de plus, nous lui
disons merci de sa contribution de qualit dans le cadre de la prise en charge
de notre patiente.